Janvier 2014

 

FAUT-IL SUPPRIMER P1 (PACES) ?

 

Je viens de lire dans la revue INDEPENDENTAIRE de Janvier 14 un article incroyable, extraterrestre, un peu comme si j’avais lu un article sur le nouveau moyen de faire Paris-New York en un quart d’heure.

Intitulé : Joy, élève Pessoa

En fait, faut lire Joy étudiante en dentaire à l’université Pessoa, Béziers, en France.

Joy est française, elle est en 1ère année au CLESI (Centre Libre D’enseignement Supérieur International) filiale de l’Université Pessoa (Portugal) à Béziers.

Le CLESI c’est une filiale de l’université portugaise Fernando Pessoa, fac dentaire. L’université Pessoa, c’est cette université qui a défrayé la chronique dentaire il y a quelques mois en proposant une formation pour devenir dentiste pour 9000€ par an sans concours. A l’époque tout le monde était persuadé que ce ne serait qu’un pétard mouillé, que la ministre de la santé ou des universités allait avec son équipe d’experts renvoyer tout le monde daredare à Lisbonne. Comment pouvait-on imaginer qu’on pût désormais contourner P1 pour quelques milliers d’euros ? Je crois même pouvoir dire que personne jusque là n’en avait jamais rêvé.

Cette fille de pharmaciens veut être dentiste – je la comprends, c’est le plus beau métier du monde –  mais n’est pas prête à devenir une bête de concours (et non « à » concours comme l’écrit la rédactrice de l’article, on n’est pas des vaches du Salon Agricole tout de même !)

Après une première année de biologie, – qu’elle a interrompue, je suppose –  elle fait 2 ans de P1 (PACES) qui se soldent par un échec comme c’est le cas de 80% des candidats. Malgré ça, elle veut toujours devenir dentiste.

Dépitée, considérant – parce qu'elle a échoué – que le mode de sélection n’est pas adapté à ce métier (bachotage et QCM) – qui lui donnerait tort ? – elle intègre le CLESI.

Ses enseignants – des praticiens confirmés – à Béziers donnent, parait-il, des cours à des classes de 35 et non à des amphis de mille carabins où des doublants régulièrement font de leur mieux pour saccager les cours dans l’espoir débile de décourager quelques étudiants.

Elle dit qu’il faut travailler sérieusement, avoir la moyenne et que le diplôme respecte les standards européens. Je n’en doute pas une seconde.

A partir de la 3ème année, direction le Portugal, Porto, où se poursuivront les cliniques et les cours cette fois en portugais. A ces 9000€ s’ajouteront je suppose, les cours de portugais et les frais d’hébergement.

Elle voudrait devenir une bonne praticienne. Je suis convaincu de sa sincérité.

Question non moins sincère : peut-on devenir un bon professionnel en dentisterie si on a été rejeté par le cursus normal et en ayant recours à une formule facile pour le contourner ?

Aujourd'hui la question se pose. Et la réponse n’est pas si évidente que ça !

Mais d’abord demandons-nous : À quoi sert P1 ?

Il y a quelques années, à l’ADF, j’ai rencontré un officiel de Garancière qui m’a expliqué que pour que les études odontologiques restent gratuites il fallait réduire le nombre d’étudiants – parce qu’un étudiant en dentaire ça coutait un bras. Il y avait une enveloppe budgétaire non extensible qui en limitait automatiquement le nombre (idem en médecine) et qui était déconnectée des besoins médicaux du pays. Et tant pis s’il y aurait tôt ou tard un problème pour payer les retraites des dentistes qui cotisent pendant près de 40 ans.

S’il y a 30 ans, un retraité était financé par 4 actifs, aujourd'hui on nous parle de 1,5 actif par retraité et puis un jour ce sera un actif pour un inactif et puis pourquoi pas un demi actif pour 2, etc. Ce jour-là soit la Carchident implosera soit les dentistes refuseront de payer leur cotisations retraites devenues faramineuses, soit les deux.

Nous sommes tous d’accord : le système n’est plus adapté, d’autant plus que j’ai appris récemment que dans certains départements 75 % des inscrits à l’Ordre en 2012 étaient des étrangers (roumains) avec des diplômes étrangers et à qui on ne demandait aucune équivalence, Europe oblige. De toute façon, si on leur en demandait une, je suis prêt à parier que ce ne serait certainement pas plus difficile qu’un P1.

Car P1, pour ceux qui l’ont enduré savent que plus ça va, plus c’est difficile. Ça fait les affaires des marchands d’espoir comme Médisup ou Epsilon, mais ça ne console pas pour autant les parents qui voient leurs enfants bosser jour et nuit.

C’est un peu comme au tennis. Yannick Noah a gagné Rolland Garros dans les années 80 avec un niveau tennistique qui est devenu ridicule en 2014.

Moi qui ai fait mon P1 à cette époque-là, aujourd'hui avec ce niveau je serai certainement recalé. Pire : avec mon bac A4 de l’académie d’Aix-Marseille, pas admis à concourir ni à Bichat ni ailleurs.

Mais comme pour le tennis, la préparation des athlètes n’est pas la même en 1980 et en 2014. L’homme n’est plus le même, il est mieux nourri, il est mieux préparé, il est mieux soigné, il est mieux coaché. Nadal écraserait Noah, mais en 1980 Nadal était un fantasme de bande dessinée : il n’existait nulle part dans le monde.

Et puis  le tennis ce n’est pas la médecine. On veut aller voir le 1er mondial pour assister au spectacle d’un phénomène, mais en médecine on veut juste se faire soigner par de bons praticiens. Je n’ai jamais entendu un type chercher le meilleur dentiste du monde. De plus, il y a peu de chance qu’il soit français si tant est que meilleur dentiste du monde ça voudrait dire quelque chose.

Le problème aujourd'hui est de savoir si le cursus proposé par l’université est efficace pour former des bons dentistes.

Qu’on soit clair, P1 (PACES) qui a succédé au PCB n’a jamais été une bonne passerelle pour accéder à l’excellence de la dentisterie. Personne n’a jamais démontré qu’en France on formait de meilleurs dentistes qu’aux USA ou dans les pays où le concours n’existe pas.

Le concours n’est pas la bonne formule, surtout quand il est décorélé des besoins médicaux du pays.

Dans les années 70-80, on choisissait dentaire car c’était un cursus court – ce qui n’est plus le cas aujourd'hui si on veut être omnipraticien –, une profession facile et très lucrative – aujourd'hui ce n’est plus vrai –, il n’y avait aucune obligation ni de moyen ni de résultat, une nomenclature et des tarifs sécu adaptés à la médiocrité des soins proposés. Le dentiste qui ne faisait pas mal était un héros à qui il aurait été malvenu de demander en plus des soins de qualité. Le concours servait en quelque sorte à mériter ce cadeau de l’Etat providence et, accessoirement, à éviter la surpopulation. Il fallait sélectionner. Trop de gens voulaient être dentistes, on ne pouvait pas accepter tout le monde. On a mis le numérus clausus pour rendre le métier élitiste, pour le faire sortir des salons de barbier, pour le faire sortir du grand n’importe quoi, qu’on voit encore dans certains pays où sur la place publique des charlatans sans diplômes vendent légalement des prothèses usagés. De 1974 à 2014, il s’est passé 40 ans. En 40 ans, le système a perdu tout son sens.

En 40 ans, il y a eu l’Europe, l’uniformisation des diplômes, les traités de Trucmuche et de Trifouillis, l’ouverture des frontières etc. Pendant des années l’Ordre de dentistes s’est défendu comme il a pu pour empêcher que son diplôme de dentiste ne devienne l’équivalent des diplômes des autres « petits » pays de la communauté européenne. Il y est arrivé tant bien que mal. Pendant très longtemps, on n’a pas vu beaucoup de dentistes étrangers. Pendant très longtemps, l’équivalence était quasi impossible. Pendant très longtemps, il fallait aller loin pour exercer son métier à la sortie de la fac. Aujourd’hui  le numerus clausus qui représente à peu près le sixième des admis d’il y a 40 ans entretient une pénurie qui permet aux jeunes diplômés de s’installer n’importe où et aux étrangers de s’installer en France. Il y a même des départements où la pénurie est dangereuse. J’ai des patients qui font des centaines de kms pour venir se faire soigner chez moi, car dans leur province (où le cout de la vie en l’Ile-de-France les a relégués à la retraite) il y a qu’un dentiste à 20 kms à la ronde et il est réputé arracheur de dents.

Dans ce contexte que signifie P1 aujourd'hui ?

Une quarantaine de P1 réussiront dentaire en 2014 à Bichat pendant que des roumains, des lettons, des polonais ou autres se prépareront à venir prendre la place des dizaines d’étudiants qui auront raté de quelques dixièmes de points leur passage en P2 après 2 ans de galère.

Est-ce juste ? Est-ce un bon système ?

Pour moi non.

Pourquoi ?

2 exemples qui me touchent de près me donnent envie de le penser :

  1. Mon fils Solal a raté son 1er P1 de quelques dixièmes de point et a réussi major dentaire à son 2ème P1. Qu’on m’explique l’intérêt de lui avoir fait perdre une année.

Des amis de mon fils ont raté leur 1er P1 de la même façon, ont réussi leur 2ème P1 au prix d’une méga dépression qui leur a fait redoubler leur P2. Ils avaient trop forcé, l’enjeu était énorme, la pression psychologique gigantesque. Dans leur tête, pas question de rater, quitte à péter un câble. Le phénomène est devenu tellement fréquent qu’à Garancière quelqu'un de très haut placé est aujourd'hui chargé de l’assistance psy de ces P2 qui font un burn-out après leur P1.

  1. Ma plus jeune fille est venue avant son bac travailler au cab. Elle a assisté les dentistes, elle a adoré. Elle a adoré tout dans le métier, le travail en bouche, le côté manuel, méticuleux, l’intimité avec le patient, le travail à 4 mains, le rapport avec les assistantes dentaires, la polyvalence, l’indépendance, le rapport à l’argent, bref tout. Elle a compris plus que mon 5ème année de fils pourquoi je suis passionné par ce métier depuis tout petit et, avant moi, mon père (z.l) qui fut pendant la guerre « mécanicien-dentiste » sans diplôme. Elle nous a dit : je veux être dentiste. Elle a eu son bac S et s’est inscrit en P1. Elle s’est inscrite à Médisup, elle a bossé tout ce qu’elle a pu, sérieusement. Pas comme une enragée, comme une fille normale. Hélas tout le monde – ceux qui ont fait P1 – savent que c’est rarement suffisant. Nous, on savait. Elle non.

Premier semestre : mauvais classement. Elle en a pleuré. Dans le système actuel, c’est foutu pour cette année. Foutu même en 2 ans sauf si entretemps elle devient une enragée. Elle non plus n’est pas une bête à concours, elle ne comprend pas pourquoi, pour devenir dentiste, il faut le devenir. N’empêche, c’est une bosseuse, mais elle n’est pas prête, elle n’est pas encore prête à risquer son équilibre psychique. Et puis elle a d’autres alternatives sans tomber dans Pessoa, il y a Bruxelles (mais parait que ce n’est plus comme avant), il y a Madrid, même Bucarest parait-il, en attendant d’autres plans car une chose est sûre : le concours a du plomb dans l’aile car il est devenu inadapté. Et puis, il y a NYU (dans Midtown, quartier de rêve) ou Columbia à côté de Central Park, qui forme d’excellents praticiens pour peu qu’on y mette le prix.

NYU est la preuve que, même sans concours, on peut former d’excellents praticiens ; disons que là-bas on a remplacé le surtravail par le dollar un concours sans signification réelle par une tonne d’argent. C’est aussi un excellent moyen de sélection et une preuve de motivation. Faut sacrement l’avoir, la vocation, pour dépenser des centaines de milliers de dollars pour devenir dentiste.

Comment puis-je conclure sans lui casser le moral ? Comment conclure pour lui redonner courage ?

Le bon système français des années 1970 est finalement tombé malade et sa maladie s’appelle CLESI. Tant que l’idéologie collectiviste française persistera à vouloir offrir des années d’études hyper onéreuses à tout le monde sous le prétexte bidon de l’égalitarisme, le droit européen fera fleurir les universités bidons (et franchement pas pratiques, surtout pour aboutir au même résultat : travailler en France) et permettra à ces diplômés français formés hors hexagone de venir exercer – quelquefois plus vite  – à côté de ceux qui ont perdu tellement de temps à doubler et à tripler leur P1, leur P2, leur P3.

Il y a une loi imparable : s’il existe des moyens de la contourner, toute sélection est mauvaise.

Je le constate 2 fois par an à New York : aujourd'hui l’excellence de l’Université Française d’Odontologie a vécu. Garancière n’est plus que l’ombre de lui-même et l’idéal est que ma fille, si elle renonce finalement à Paris, ait envie d’aller à New York. On fera les sacrifices. C’est vrai que ce serait mieux qu’elle réussisse iciCar  P1 c’est la plus formidable école d’endurance, de résistance, de dépassement de soi que je connaisse, mais c’est un autre sujet dont je parlerai certainement un jour. En attendant, faut qu’elle tienne, qu’elle se réveille, qu’elle mue, que ses canines poussent. On va l’aider. Avec l’aide de Di.eu.

La solution pour P1 ? Augmenter le numérus clausus pour le rendre vraisemblable ? Rendre les études un peu payantes et un peu moins dures ? Faire évoluer les critères de sélection ? Entamer des négo avec les portugais ? Harmoniser le diplôme au niveau européen ?

A vous de juger. Moi je n’en sais rien. Je sens juste que ce CLESI, ça ne me parait pas très naturel.

J’aurais l’impression de trahir mon père…

Bon courage, Chanel.

Vanves. Janvier 2014