COMPTE RENDU DE LA SESSION AU N.Y.U POST-GRADUATE IN IMPLANTOLOGY JUIN 2012

Entre Hudson river et East river, de Battery Park à Inwood, l’île de Manhattan s’étale dans un chassé croisé de soleil et d’ombre, de béton et de verdure, de sous-sols fumants et de gratte-ciel arrogants, agité 24/7, parsemé de travaux publics, étouffé par les bouchons, balisé de feux rouges en enfilade sur plusieurs kilomètres, offrant de lointaines  perspectives jusqu’au nouveau WTC où on devine les grues de la nouvelle tour la plus haute de New York.
 
Manhattan magic avec son va-et-vient continuel,  sa chaleur épaisse, puante, sa canicule (jusqu’à 95°K).
  Telle fut l’ambiance quotidienne – et ô combien euphorisante – de la fin de ce mois de juin pour une nouvelle session du Post Graduate of Implantology  Oral à  NYU, l’école dentaire de New York  située entre East 24th  et 25 th, et la 1st avenue.
La première Avenue – l’avenue la plus à l’est de Manhattan avant FDR Drive – jusqu’à la 35ème rue, c’est l’avenue des CHU, des hôpitaux, des universités, des centres de recherche. Des centaines de d’étudiants, de patients, de praticiens, d’enseignants en blouses et pantalons de couleurs rentrent et sortent des buildings de plus de 10 étages, pour fumer, manger (tous les dix mètres il y a des marchands de trucs à manger et à boire plus ou moins légaux) – ici on mange et on boit presque en permanence, même en marchant, surtout en marchant –, discuter, prendre leur pause. Chaque hôpital à sa couleur de tenue, son badge, sa spécialité.
La première Avenue c’est aussi, ne l’oublions pas, l’avenue du siège des Nations Unis.
Sur la chaussée aussi, ça grouille de marcheurs, de taxi, d’ambulances hurlantes, de livreurs, de vélos, de carrioles, de gens bizarrement habillés, de clodos – les seuls qui ne se pressent pas – . On y entend autant l’anglais que l’espagnol, et aussi des dizaines d’autres langues. Des vapeurs sortent des bouches d’égout et les taxis orange par dizaines en flot interrompu tracent sur le bitume, ponctuant leur passage de coups de klaxons impatients.
Me voila de nouveau à NYU, au Collège Of Dentistry, plus vieille école odontologique des USA, bâti en 1865, un des plus grandes avec ses 11 étages de cliniques et de salle de cours, ses 7 bâtiments qui occupent deux blocks entiers, sans parler des annexes et de son staff de 390 personnes et ses 350.000 patients annuels.
Les étudiants viennent du monde entier pour se perfectionner dans toutes les disciplines de la dentisterie. Il y a même un département spécialement consacré à la formation continue des diplômés; LINHARDT CONTINUING DENTAL EDUCATION PROGRAMS. L’un d’entre eux est tourné vers la réhabilitation orale et implantologique. Il faut plusieurs sessions à New York, deux ou trois à l’étranger où NYU a des antennes, et une présentation de cas pour valider son Post Graduate. Un peu comme le Louvre, NYU a des franchisés dans le monde entier, même à Dubaï où exerce encore un des premiers responsables français de la formation. Par ex en 2011, nous étions à Mestre, une ville de congrès séparé de Venise par le Pont De La Liberté.
 Chaque année, des groupes venant de partout assistent aux cours. Depuis 2 ans la moitié de l’amphi est occupé par un groupe d’iraniens. Mais il y a aussi des tunisiens, des belges, des marocains, des italiens, des portugais et bien sûr des français de la France entière, surtout d’ile de France, mais il y en avait aussi qui venaient de Tahiti.
 

 

Le responsable du groupe français Raphael Bettach fut promu en novembre dernier Assistant Professor.

Chaque session obéit au même rituel : vers 9h, on est accueilli par Ken Beacham l’ « Assistant Dean », autrement dit le vice doyen. Avant d’entrer dans l’amphi, il y a d’abord la partie administrative, régler les frais d’inscription en cash, dollar de préférence, recevoir son dossier contenant l’indispensable reçu, des tickets restaurant, un livre de pub pour promouvoir l’université avec photos de tous les donateurs, le programme de la session et bien sûr la liste des magasins partenaires de NYU où on est vivement encouragé à faire ses courses .
 

 Dans une salle en face de l’amphi un samovar avec du café à volonté, café américain je précise, autrement dit un breuvage noiraud, claire, amer, qui ressemble de très loin à un café français. Si on n’aime pas le café, il y a de l’eau purifiée à volonté.
Le décalage horaire aidant le premier jour je me réveille toujours vers 3h du matin. Ce mois de juin sera particulièrement chaud et comme les taxis ne sont pas ni spécialement confortables ni rapides et que j’adore mitrailler Manhattan avec mon appareil photo j’irai à NYU à pied. Mon hôtel étant sur la 44th près de Times Square – l’endroit le plus représentatif de la démesure newyorkaise – et des restaurants que j’affectionne comme Le Marais ou Prime Grill, ça me laisse une infinité de trajets et des milliers de possibilités de photos.
Les cours commencent vers 9h et se termine vers 16h. Parfois avant, si le conférencier est fatigué ou si le chemin de son retour est long. Ils viennent parfois d’assez loin.
 
Cette année, lundi, ce sera Dr Christian Stappert, 
 
enseignant de l’université du Maryland (là où fut conçu le fameux bridge maryland), ancien de NYU,  qui abordera la question des secrets de la haute robustesse des céramiques surtout en implantologie.
Le débat se résume à une phrase : quelle alternative pour la céramo-métallique – toujours « gold standard » – qui se fait vieille, inadapté et esthétiquement de plus en plus inacceptable surtout à l’époque des liftings, de l’allongement de la durée de la vie, des traitement de rajeunissement, du blanchiment, du botox et de l’acide hyaluronique (voir plus loin ma rencontre avec Robert Lichtenstein, dentiste à Manhattan).
Le patient newyorkais aujourd'hui est exigeant, exige la perfection cosmétique, une couronne prothétique qui se confond avec ses dents naturelles, une couronne qu’il finit lui-même par ne plus savoir localiser. Quelquefois il veut encore plus, des prothèses qui le rajeunissent, qui gomment les dégradations du temps ou les défauts de son hygiène. Au sommet il y a le patient qui veut des dents si blanches que la teinte elle-même n’existe pas dans la nature, une dent couleur lavabo ou bidet, pour rattraper tout ce temps où il a du se supporter avec des dents qui ne lui plaisaient pas, qui ne le valorisaient pas assez.
 En Amérique cette dimension, cette exigence est à son paroxysme. A Manhattan c’est dix, quinze, vingt fois plus aigu qu’à Paris. Le patient, souvent une patiente non seulement veut des dents régulières, blanches éclatantes mais en plus il exige qu’on les pose dans un écrin parfait,  c'est à dire une gencive rose pale – ni trop rouge ni trop blanche, translucide au collet, épaisse sans être charnue, exempte de colorations, à l’état de surface parfaite, ni trop lisse, ni trop peau d’orange – des papilles fières et pointues pour éviter les disgracieux, les insupportables trous noirs qui flinguent un sourire. Et il est prêt à payer très cher pour un résultat parfait, des dizaines de milliers de dollars ; c’est pourquoi le praticien averti prend des photos, des modèles d’études, des témoins, examine minutieusement la psychologie de son patient pour éviter l’autre pendant de cette exigence névrotique : la demande de dédommagement en cas de déception.
 
La teinte et son dégradé naturel ne suffisent pas, il faut à la dent prothétique une forme parfaite, un positionnement naturel, il faut que la dent ait une personnalité en harmonie avec celle du patient, un mouvement qui s’intègre au sourire ; ce cahier des charges ne concerne pas seulement la dent ; comme je l’ai dit plus haut il faut que la gencive suive, surtout si le sourire la dévoile, la découvre, la dénude, l’expose, surtout si elle participe au sourire, souvent – 10-15% des cas  – comme actrice principale.
 

Le dr Michael Sonick du Massachussetts expliquera le deuxième jour comment redonner à cette gencive le rose pâle et le feston de sa jeunesse, comment rhabiller des dents abandonnées par leur gencives, faire repousser les papilles. La gageure absolue.
 

 

Comment au prix de multiples interventions, arriver à faire repousser une papille même d’un ou de deux millimètres. L’exigence américaine est démesurée. Même les praticiens installés à Paris regardent le déroulement des cas présentés avec un sourire amusé, presque incrédule. En France, pays des tarifs opposables et de l’hors nomenclature culpabilisateur, ce degré de perfectionnisme fait sourire. Aux USA on ne plaisante pas avec l’esthétique. Nombre de praticiens refusent les cas quand ils les considèrent juridiquement dangereux ; le dr Sonick avec sa nombreuse équipe relève tous les défis.
 
 
En tous cas c’est  ce qu’il a essayé de nous faire croire. 
 
    


 
Michael Sonick croit en la force du sourire ; il reste persuadé qu’Obama l’a emporté grâce à son sourire, que le sourire peut vous aider à devenir le maitre du monde. Ah le surdimensionnement américain, surtout à Manhattan, surtout à NYU. Par contre en matière de compétence, si on en croit les photos de ses cas il ne fait aucun doute qu’il maitrise parfaitement la chir mucco-gingival et beaucoup de cas casse-gueule en France sont réalisables aux States. Comme le montre l’image ci-dessus.
 

 
 
 
 
 
Mais qui oserait se lancer dans pareille entreprise ?
 
Ce qui nous fit dire à tous que les américains ne doutent de rien. De rien et de son contraire. Quand j’ai vu Stephen Wallace passer la sécurité de NYU ( à l’entrée il y a toujours un type déguisé en flic) avec son dos vouté, ses baskets blanches et son sac à roulette je l’ai d’abord pris pour un patient nécessiteux. 
 
 
 
 
Heureusement Raphael Bettach m’a vite détrompé ; Wallace est un des plus grands spécialistes mondiaux du sinus, il est professeur agrégé de parodontologie à NYU et tout ce qu’il dit est repris par tous les chirurgiens dans le monde ; c’est un praticien aussi érudit que modeste et son aura n’a d’égal que son influence dans le cercle très fermé des Sinusistes et son humour .        
 
Le cours (6 heures) fut magistral ; des anciens déjà diplômés (alumni) ont fait le voyage rien que pour y assister. À la fin de la journée, même ceux qui n’avaient jamais touché un sinus étaient persuadés qu’ils étaient capables de faire un volet latéral.
 Wallace a ce talent de rendre tout accessible ; même le nerf qui traverse la paroi externe du sinus et qui terrorise les praticiens Wallace l’a démystifié, isolé, clampé. À la fin on entendait dans les couloirs des chirurgiens se dire entre eux : après tout ce n’est qu’une artère et une artère qui saigne ça se clampe et ça finit par s’arrêter, 10 minutes à tout casser, après on reprend tranquille la chir. Mais oui c’est ça… seul un américain est capable d’autant de modestie. En Europe celui qui est capable d’un tel exploit tient à ce qu’il en reste un le plus longtemps possible. En Amérique l’enseignant est payé pour élever le niveau de son étudiant. C’est pour cette raison que la pièzo est apparue.
 
En France,  on s’est méfié longtemps des nouvelles techniques.
 
Aujourd'hui pour Wallace la pièzo-chirurgie (remplacer l’instrument rotatif par un instrument ultrasonore) est incontournable ; toujours avec son humour il a déclaré : la question n’est pas de savoir lequel acheter mais lequel utiliser dans tel ou tel cas. Sous-entendu : il faut tous les avoir.  Sachant qu’un appareil coute entre 5000 et 8000 euros ça a fait marrer tout l’amphi.
 
Wallace conclut enfin son cours avec toujours le même humour de l’homme qui en a vu des tonnes : « the best way to deal with complications is not to have them » .

 

 
Le meilleur moyen de gérer les complications est de ne pas en avoir 
 
Pour notre plus grand plaisir, il nous montra les cas de fous qui laissent ses étudiants perplexes : aucun matériau de comblement, juste le caillot et les implants et six mois plus tard un os abondant et une belle ostéointégration; ça marche aussi bien que d’autres techniques mais sans aucune base scientifique. Juste le décollement de la membrane de Schneider pour servir de chapiteau au caillot qui épousera les implants pour créer de l’os.
 
Wallace affirmera que les complications dans la chirurgie  sinusienne peuvent se gérer, comme la perforation de la membrane ou l’hémorragie ; il est très rare aujourd'hui qu’on soit obligés de renoncer au comblement dans ces cas-là. Il montrera aussi que le taux de réussite après greffe tend à rejoindre celui d’un implant classique. Il reconnaitra qu’l faut être modeste dans le domaine de l’implantologie car beaucoup de choses restent à découvrir. Les immenses ressources de la biologie humaine et la technologie nous réservent bien des surprises.
 

Vue de l’artère tant redoutée dans l’épaisseur de la membrane sinusienne.
 
Le lendemain c’est Raphael qui s’y colla. Il mit un costume pour nous parler des R-O-G, GUIDED BONE REGENERATION, ou comment sous certaines conditions récréer de l’os là où il en manque grâce à des membranes en collagène et des matériaux soit ostéo-conducteurs soit ostéo-inducteurs soit par greffe autogène. Le cours se termina par un TP sur un nouvel implant conçu par Bettach lui-même. Implant original puisque ne nécessitant qu’un seul foret. Par contre la longueur (15 ou 18 millimètres) est à mon (humble) avis à contre courant des tendances actuelles qui vont plus dans le sens des implants courts – entre 6 et 10 millimètres de longueur et d’une optimisation de la surface effectivement ostéointégrée.
La journée fut très scolaire et surtout dans un anglais enfin à ma portée. Car aux USA selon qui le parle on comprend plus ou moins son interlocuteur.
D’ailleurs le lendemain aussi – dernier jour – le conférencier Edgar El-Chaar d’origine libanaise parla dans une langue très intelligible. Son cours ne fut pas très original plutôt destiné à des débutants – LES 10 FAUTES LES PLUS COMMUNES EN IMPLANTOLOGIE furent écoutées d’une oreille distraite par des praticiens qui posent pour la plupart plus d’une centaine d’implants par an.
 
 


Raphael Bettach responsable France avec la dynamique secrétaire du vice doyen

 
      

 

 Pierre Koumi de Bruxelles futur alumnus révisant sa présentation

 

 


 

Une des nombreuses salles d’attente de NYU. Openspace everywhere. 

 

Sinus de cauchemar

 
 


Pierre de Bruxelles qui concluait son PG par une présentation de ses cas devant son illustre examinateur

 
 


Groupe de français du VAL D’EUROPE

 
 


Le groupe des français

 
 


Photo de classe du Post Graduate ; il en manque quelques uns comme toujours. Les iraniens sont facilement identifiables : costume-cravate, leurs compatriotes femmes sont plus cool, comme cette charmante dentiste iranienne qui tient le panonceau.

 

 

Pour finir…
        
Pour finir laissez moi vous raconter ma brève rencontre avec un authentique dentiste newyorkais le Dr. Robert Lichtenstein, DDS
420 Lexington Avenue
New York, NY 10017
212-682-7200.
La rencontre eut lieu la veille de mon retour un samedi après-midi à Brooklyn, chez des amis qui habitent Ocean Parkway.
 
Robert, parfait francophone, a 62 ans, vit à Brooklyn, mais exerce à Manhattan depuis 30 ans entre 42th et Lexington, autant dire le Manhattan déjà bien cossu.

 

 

        

 

Ce qu’il y a d’insolite chez ce praticien est l’emplacement de sa première installation ; à sa sortie de l’Université de Philadelphie, avec quelques confrères il décide d’installer son premier équipement devinez où ? Dans l’endroit le plus improbable et en même temps un des endroits les magiquement visibles de Manhattan : le Chrysler Building et pas au rez-de-chaussée ou dans les premiers étages, au 69ème étage de cette flèche qui en compte 77. 
 Au début des années 80 – l’immeuble inauguré en 1930 par Walter Chrysler le proprio au début n’attire pas grand-monde – pour de jeunes praticiens le loyer est encore modique. Robert avance le chiffre d’environ 80 K$ annuel, mais au bout de quelques années, succès oblige, il passe à 300 K$ ; pour Robert, c’est un peu trop, et m’avouera son épouse : les patients avaient souvent le vertige !
 Il décide alors de transférer son activité juste en face. Aujourd'hui m’a t-il confié il y a encore dans la tour un cabinet médical mais le loyer approche les 500 k$. C’est fou ! Mais tout Manhattan est comme ça ! s’écria-t-il.
Dans le feu de la conversation, j’ai osé lui demander quels étaient ses tarifs;
Ses réponses toujours très américaines quand il s’agit d’argent, sans aucune gène, presque même avec une certaine fierté ont fusé pour mon plus grand plaisir ; l’implant tout compris frôle les 5000$, l’endo molaire (entre 50 et 80€ en France) ? Cela varie selon la difficulté entre 1500 et 1800$ ; la couronne céramo-céramique ? autour de 2500$. Ouah ! Quelle tendance tu vois aujourd'hui dans le métier lui ai-je demandé pour conclure. L’esthétique ! S’est-il écrié, pas seulement le blanchiment, l’ortho d’adulte pour réaligner les dents ou la réfection du sourire, mais le botox et l’acide hyaluronique; la demande est énorme, c’est un rente m’a t-il confié, tous les 4 mois faut recommencer ! Mais ai-je rétorqué des patients aussi exigeants ne sont-ils pas un peu trop procéduriers ? Mais non m’a t-il répondu en souriant, le produit disparait au bout de quelques mois, et si le patient n’est pas content, il revient et on recommence. Le cout ? Environ 1400$...
Pour quelques minutes de travail, ça laisse rêveur.
Il m’a promis pour mon prochain séjour de me faire visiter son ancien cabinet. Ça promet quelques photos assez stupéfiantes.
 
 

 

 

 Bonnes vacances
Docteur Gilles Abitbol
Prochain blog : au plus tard novembre 2012 pour la prochaine session